CHAPITRE 4 : SUZANNE
On n`avait plus vu un tel manteau blanc sur les Alpes depuis plusieurs d閏ennies. D鑣 le XXe si鑓le, l`humanit� avait pris conscience que les neiges n`avaient d`閠ernelles que leur nom. Jusqu`ici, Suzanne n`avait aper鐄 la robe de glace du Mont-Blanc que sur de vieilles vid閛s.
Lorsqu`elle suivit un flocon tomb� du ciel, elle ne put s`emp阠her d`閜rouver une certaine m閘ancolie. Le front coll� � la vitre, elle essayait de reconna顃re la montagne qu`elle connaissait sans son costume hivernal originel.
L`occasion 閠ait immanquable et ils 閠aient nombreux ce matin-l� � avoir quitt� leur chalet pour les sommets. Il y avait autant de locaux que de touristes. Toutefois, la cabine 閠ait suffisamment large pour que personne ne se sente � l`閠roit. Il y 閠ait diffus� un morceau de country de Billy Bob Braynes. C`閠ait le plus gros succ鑣 de l`ann閑 2069. Elle le savait, car c`閠ait son ann閑 de sa naissance.
Sur la banquette derri鑢e se tenait un groupe d`Italiens qui avaient d閜oussi閞� de vieilles paires de skis. Il avait toujours 閠� possible d`en faire au sein des stations 閝uip閑s de canons. Seulement, les prix 閠aient devenus si exorbitants que la plupart des gens de la classe moyenne y avaient progressivement renonc�. La r閍lit� virtuelle offrait une int閞essante alternative, mais beaucoup disaient que les sensations n`閠aient pas les m阭es. Nonobstant les basses temp閞atures, cela allait certainement 阾re une exp閞ience inoubliable pour ces amateurs de sport de glisse.
La musique fut rapidement interrompue par les informations du jour. Ce fut une nouvelle fois les m阭es titres que la veille : les conflits r間ionaux en mer du Japon, un groupe de hackers ayant fait artificiellement chuter le NASDAQ ou encore une in閐ite avanc閑 dans le domaine des implants neuronaux.
Peu apr鑣 un jingle publicitaire, une d閘icieuse odeur de chocolat attira son regard dans la direction d`un couple d`Indiens visiblement fortun�. Appareils photographiques derniers cris en main et implants oculaires premi鑢e g閚閞ation, ils 閠aient par閟 � immortaliser leur voyage. Elle les entendit murmurer dans un m閘ange d`hindi et d`anglais. Leur excitation 閠ait palpable.
C`est � l`extr閙it� de cette rang閑 qu`elle remarqua pour la premi鑢e fois une 閠range silhouette dans le reflet de la vitre. Suzanne le d関isagea discr鑤ement, ne souhaitant pas mettre cette personne mal � l`aise.
L`homme 閠ait massif avec de larges 閜aules et un cou au moins aussi 閜ais que sa t阾e. Le nez aplati et les pommettes saillantes, sa peau noire contrastait avec son costume jaune poussin. Il n`閠ait pas v阾u suffisamment chaudement pour affronter ce temps glacial. Les Panafricains faisaient vraiment toujours passer le style avant toute autre chose.
Elle avait connu une personne qui lui ressemblait. Il lui semblait qu`ils avaient 閠� proches. Mais aujourd`hui, sans savoir pourquoi, elle 閠ait incapable de se rappeler son nom ou son visage. Cela datait de Harvard. C`閠ait il y a si longtemps. Elle eut l`impression que des centaines d`ann閑s s`閠aient 閏oul閑s depuis.
Une secousse fit soudain vibrer la cabine. Plusieurs touristes exprim鑢ent leur inqui閠ude. Dehors, la station d`arriv閑 se dessinait dans le brouillard. La voix artificielle d`une IA indiqua que le t閘閜h閞ique approchait du terminus et amor鏰it son freinage. Rassur�, l`ensemble des passagers commen鏰it � rassembler leurs affaires. Suzanne les imita.
L`homme au costume jaune ne bougeait pas. Il semblait d閏onnect�. C`閠ait souvent le cas avec les gens utilisant leurs implants neuronaux pour passer des appels ou bien surfer sur internet. Dans sa main, le chocolat ne fumait d閖� plus.
Mais lorsqu`il plongea finalement ses yeux sombres dans ceux de la jeune femme, elle comprit que ce n`閠ait pas un voyageur ordinaire. Maintenant qu`il y avait vu cette furtive connexion entre eux, elle crut le reconna顃re.
Suzanne fut bouscul閑 vers la sortie si bien qu`elle perdit le contact visuel avec le myst閞ieux inconnu. Et, lorsqu`elle put enfin regarder de nouveau par-dessus son 閜aule, ce dernier avait disparu de la cabine.
Suzanne fut conduite au cSur du glacier quelques minutes plus tard par une antique motoneige automatique. Une fois l�-bas, elle avait entrepris une ascension p閞illeuse de plusieurs heures.
Elle avait coutume de se lancer de tels d閒is lorsque l`ambiance au sein du laboratoire de la Novan-Kamiru, pourtant agr閍blement situ� au cSur des Alpes suisses, devenait trop pesante. Elle avait besoin, souvent, de se retrouver seule dans l`immensit� des sommets. Et sous la neige, ces derniers 閠aient des plus magnifiques.
Rien ne pouvait lui g鈉her ce moment. Du moins c`est ce qu`elle pensait jusqu`� ce son implant lui indique la r閏eption d`un message de haute importance. Elle jura de s`阾re mise hors ligne, mais ne fut pas 閠onn閑 de voir appara顃re le nom de Thomas S. Lionheardt � c魌� de l`antique et d閙od� petit logo d`enveloppe clignotante.
Il n`y a que toi pour passer � travers tous les pare-feux, songea Suzanne. M阭e ceux que j`ai moi-m阭e cod閟.
Suzanne connaissait Thomas depuis maintenant pr鑣 de quinze ans. Ensemble ils avaient 閠� dipl鬽閟 de l`Universit� de Harvard, elle en g閚ie biocybern閠ique, lui dans tous les domaines connus et m閏onnus relevant des math閙atiques et de l`astrophysique.
Thomas Lionheardt avait toujours 閠� un touche-�-tout et sa soif de savoir l`avait pouss� � poursuivre plusieurs doctorats simultan閙ent et fonder, plus tard, la Lionheardt Corporation. Il 閠ait d閟ormais le directeur de l`un des plus gros conglom閞ats de soci閠閟 les plus high-tech de la plan鑤e. La premi鑢e compagnie � avoir eu un si鑗e sur Mars.If you stumble upon this tale on Amazon, it`s taken without the author`s consent. Report it.
La seule chose qu`il avait 閠� cependant incapable de continuer avait 閠� leur courte relation. Les deux chercheurs 閠aient n閍nmoins rest閟 de tr鑣 bons amis.
Suzanne prit finalement connaissance du message de Thomas, assise au creux d`une falaise � plus de deux mille m鑤res d`altitude. Le courriel 閠ait bref, mais ponctu� d`un lien vid閛 qui lui afficha la v閞itable missive laiss閑 par son interlocuteur.
Les cheveux bruns de Suzanne battaient au gr� des vents violents. Ces m阭es vents engloutissaient le son de son terminal et elle dut activer ses oreillettes int間r閑s d`une simple pression sur la tempe.
L`homme qui apparaissait sur le visage vid閛 閠ait un grand mince aux cheveux noirs. Il poss閐ait des yeux bleus identiques � la jeune femme m阭e si ce matin, Suzanne y d閏ela quelques pointes de violet. Mais le plus notable restait son sourire. Il 閠ait aussi discret que charmeur.
Prisonni鑢e des souvenirs qui remontaient en elle, Suzanne manqua la premi鑢e partie du message et du demander � l`interface de son implant neuronal de rembobiner l`enregistrement qui disait :
� Bonjour Suzy. Je n`ose m阭e plus t`appeler de peur de tomber une fois de plus sur ton irascible IA de secr閠aire. Lui avoir donn� la voix de ta m鑢e est& vraiment un coup bas de ta part. Et je ne dois pas 阾re le seul � m`en plaindre. �
Tom marqua une pause.
� Excuse-moi, je suis en Chine. 莂 ne capte pas tr鑣 bien dans ces complexes souterrains. Enfin, bref. Je pr閒鑢e en venir au fait, te sachant tr鑣 occup閑 en ce moment. �
Tom fit de nouveau une pause. Le regard du jeune homme 閠ait diff閞ent. Autrefois plein d`assurance, il 閠ait aujourd`hui troubl�.
� Je vais aller droit au but. J`ai besoin que nous nous rencontrions. C`est � propos d`une id閑. Enfin& une pens閑 que j`ai depuis longtemps. Car la Novan-Kamiru ne te valorise pas � ta juste dimension. Celle que je connais. D`ailleurs si c`閠ait le cas, tu ne serais pas la plupart de ton temps perch閑 au-dessus du vide ou � plonger au cSur des failles oc閍niques, n`est-ce pas ? �
Une nouvelle et derni鑢e pause lui permit de se frotter le haut du front visiblement rosi par ce qui semblait 阾re un r閏ent tic nerveux aux yeux de Suzanne.
� Le 17 d閏embre ? � 20 heures, au restaurant les Trois-Gaules. C`est � GrandLyon. Je d閠este cette ville de ploucs, mais c`est ce qui reste le plus int閞essant pour nous deux. Et qui sait& peut-阾re que Pierre-Marie se joindra � nous& �
Thomas Lionheardt reprit :
� Je t`envoie l`invitation de ce pas, en esp閞ant que ton IA ne la bloque pas comme avec mes pr閏閐ents messages. �
La voix de Thomas laissa en Suzanne comme une empreinte ind閘閎ile. Lorsqu`elle sombra dans un arc-en-ciel de lumi鑢e au milieu de formes et de sentiments entre-m閘ang閟 dans un bain de souvenirs, ce fut la seule et unique chose qui la maintenait consciente.
� quelques centim鑤res d`elle se tenait d閟ormais le visage du Panafricain de la t閘閏abine. Il la fixait de ses yeux noirs.
Qu`est-ce qui se passe ?
Les traits commenc鑢ent � s`関anouir et la voix de Tom r閟onna de nouveau.
� O� es-tu ? Je suis devant le restaurant.
— Je ne sais pas, r閜ondit Suzanne.
— Fais attention, Suzy.
— � quoi ?
— Nous ne sommes pas seuls. �
C`閠ait toujours Tom, mais sa voix 閠ait tr鑣 faible. Comme effac閑. Celle-ci poursuivit :
� Il vient.
— Qui donc ? � demanda Suzanne.
Cette derni鑢e ferma les yeux jusqu`� ce que le visage du myst閞ieux passager se d閟agr鑗e totalement dans le n閍nt.
Puis elle prit une profonde inspiration et les ouvrit de nouveau. Devant elle se dessinait un couloir sombre. Une sir鑞e r閟onnait au loin.
D`un pas timide, elle p閚閠ra dans une pi鑓e o� apparaissaient mille 閏rans d`ordinateur aux reflets mauves. Partout miroitait le m阭e symbole. Ce n`閠ait pas le lion rugissant de la Lionheardt Corporation, mais autre chose.
Un bureau occupait le centre de la salle. Thomas y si間eait. � c魌� de lui se tenait un homme au visage de fer. Ses yeux violets brillaient dans la nuit. Il lui sourit et parla le premier. C`閠ait une voix artificielle et pourtant si humaine.
� Vous ?
— Qui 阾es-vous ? � demanda Suzanne.
Mais il ne l`閏outait pas.
� Apr鑣 tout ce temps& c`est fantastique ! Je suis si heureux pour vous. �
Et puis quelque chose lui percuta le ventre.
Lorsqu`elle posa ses mains sur son estomac douloureux, elle sentit la caresse d`un liquide chaud. Suzanne tomba dos contre terre. Tout bascula et la naus閑 l`envahit.
Tom ! Tom !
Elle 閠ait maintenant dans une clairi鑢e, allong閑 sur les feuilles mortes. Le ciel 閠ait rouge, comme malade. Elle voyait clairement la danse des branches noires au-dessus d`elle. Elles allaient et venaient au gr� d`un vent 閠ouffant qui lui balayait le visage.
Il y avait un homme. L`espace d`un instant, elle crut reconna顃re Thomas. C`閠ait impossible.
Elle voulut l`appeler, mais aucun son ne sortit de sa bouche. Elle ne pouvait plus respirer. Suzanne prit donc une grande inspiration, mais l`air lui br鹟a les poumons. Ce fut comme avaler du m閠al en fusion. Elle hurla alors que du sang jaillit de sa gorge.
Son corps 閠ait toujours clou� au sol quand les arbres tomb鑢ent en poussi鑢e. Le ciel se couvrit soudainement d`un voile sombre. Une ombre la surplombait. C`閠ait l`homme au costume jaune � la mine cette fois-ci inqui鑤e.
Puis tout se d閟int間ra devant ses yeux.